L’affaire est assez banale en réalité et a très bien été détaillée sur le blog de Maître Eolas. Ce qui l’est moins c’est la conjonction dans une seule affaire de fantasmes et intolérances multiples.
- méfiance des laïcs contre tout ce qui touche ici au religieux : sauf que en l’espèce la laïcité n’est pas en cause puisque le jugement ne concerne aucunement des aspects religieux. Par ailleurs la laïcité consiste à ce que l’État soit neutre envers les religions et non pas à ce qu’il les combatte activement. Je suis pour ma part non pas laïc, mais anticlérical voire antireligieux. Je souhaite la régression des obscurantismes et des superstitions, je ne pense pas cependant que le rôle de la puissance publique soit de restreindre les libertés de ceux qui ne partagent pas mon point de vue.
- méfiance des féministes, échaudés : sauf que en l’espèce la liberté de la jeune femme n’a à aucun moment été remise en cause, et certainement pas par le tribunal. Elle était libre de disposer de son corps avant son mariage, libre de refuser les conditions particulières de son fiancé, libre de lui dire la vérité, libre aussi de contester l’annulation ce qu’elle n’a pas fait. Je crois pour ma part que l’État doit faire appliquer strictement l’égalité homme-femme dans tous les domaines, à l’aide de lois et de politiques publiques. Tous les domaines, sauf celui de la vie privée. Il existe des conditions familiales ou liées à l’entourage qui limitent de facto la liberté effective des individus. Mais la puissance publique ne peut guère faire plus que mener des campagnes d’information auprès des personnes concernées afin de les informer de leurs droits. À chacun ensuite de faire ses choix, et les arbitrages nécessaires entre aspirations individuelles et contexte familial.
- méfiance envers l’Islam, voire islamophobie : au regard des seules informations dont nous disposons, beaucoup se sont laissés allés à des interprétations excessives sur la base de préjugés envers la religion des personnes concernées. Là encore, le jugement n’a rien à voir avec l’Islam.
Les « progressistes » qui s’indignent aujourd’hui cherchent avant tout à faire appliquer leurs standards moraux par l’État, comme le faisaient autrefois les conservateurs. Or, afin de garantir les libertés individuelles, a puissance publique doit rester rester neutre autant que possible, dans la mesure ou l’ordre public n’est pas en cause.
Quoi que l’on puisse penser des choix des uns ou des autres, il me semble inacceptable de prétendre imposer ses propres choix de vie à autrui, encore plus de vouloir instrumentaliser la puissance publique pour ce faire. Soyons clairs : j’ai pour ma part spontanément tendance à penser que ce jeune homme est un imbécile et que cette jeune femme l’est tout autant pour avoir acceptée de l’épouser dans ces conditions. Toutefois, tant qu’ils ne cherchent pas à imposer leurs convictions en tant que norme sociale — ce que le jugement en question ne fait absolument pas — elles doivent rester libres de les respecter dans le cadre de leur vie privée.
Que des personnes souhaitent être fidèles à des convictions religieuses dans le cadre de leur couple, pourquoi pas si c’est leur choix. Ce qui me semble scandaleux — et tout particulièrement dangereux — c’est lorsque des personnes souhaitent imposer les dites convictions à leurs concitoyens, comme ces associations catholiques d’extrême-droite qui tentent de faire interdire tel ou tel film, jeu vidéo ou affiche publicitaire.
Plus généralement, cette affaire me confirme dans mon sentiment selon lequel la République ne devrait pas singer l’institution d’origine religieuse qu’est le mariage. Elle doit proposer aux citoyens vivant en couple un statut visant à faciliter la vie commune, en l’officialisant au regard des tiers. Un PACS amélioré devrait suffire à cette fonction. Le mariage civil est une survivance inutile de l’époque ou l’État était en concurrence avec les Églises, aujourd’hui strictement séparés. Ceux qui souhaitent une cérémonie, des discours, une robe blanche et un banquet sont libres d’organiser cela si ça leur chante, voire de s’adresser à un curé ou à un imam.
Pour revenir à l’affaire qui nous préoccupe, il s’agit au final des motivations qui ont conduit les personnes concernées à se marier. Ces motivations, aussi contestables soient-elles, ont été prises en compte pour aboutir — avec l’accord de tous — à cette annulation. Les voix qui s’élèvent aujourd’hui tentent à dire qu’il convient de restreindre la champs des motivations pouvant être prises en compte. Il s’agit donc ni plus ni moins que d’imposer une norme sociale à des choix intimes et individuels et donc d’imposer les valeurs d’une majorité de la population dans un domaine privé. Il s’agit tout simplement de faire preuve envers les individus conservateurs du même autoritarisme qui était imposé autrefois aux individus plus libéraux. Est-ce bien un progrès ?
Le moment est finalement peut être bien choisi pour réhabiliter le libéralisme politique.
- « N’y a-t-il que les vierges qui puissent se marier ? » sur le Journal d’un avocat de Maitre Eolas
- Mariage et virginité : un bûcher des vanités à la française sur Diner’s Room.
- Islamophobie ordinaire sur le blog de Pierre Catalan