La Catalogne expliquée de l’intérieur

, par Valéry-Xavier Lentz

L’écrivain et chroniqueur Matthew Tree vit en Catalogne depuis près de trente ans. Il s’efforce dans ses articles de faire découvrir la réalité catalane à ses lecteurs anglophones. Combinant anecdotes et vulgarisation de l’histoire et de la vie politique, il présente la vision d’un pays à part entière très différent de l’Espagne connue à l’étranger.

Le livre Com explicar aquest país als estrangers (Comment expliquer ce pays aux étrangers) rassemble le texte d’une conférence donnée en 2008 à la London School of Economics et des articles parus dans différentes publications anglophones (également disponible en anglais sous le titre Barcelona, Catalonia : A View from the Inside).

Il y décrit la Catalogne comme un pays à part entière, aussi différent de l’Espagne que l’Écosse l’est de l’Angleterre, voire plus en raison de la vivacité de la langue catalane, et de la production éditoriale dans celle-ci, à laquelle il participe lui-même, étant l’auteur d’une douzaine de romans et d’essais dans cette langue.

Le thème principal du livre reste la relation difficile entre les Catalans et ce qu’il appelle « l’Espagne monolingue », les 62% des citoyens de l’État espagnol qui résident dans des territoires où seul le castillan a un statut officiel alors que quinze millions d’entre eux vivent dans des régions où d’autres langues sont pratiquées.

Il relate de nombreuses anecdotes visant à démontrer un anti-catalanisme qui s’exprime parfois de manière regrettable. Des Catalans en déplacement dans l’Espagne monolingue peuvent être, dit-il, pris à partie lorsqu’ils dialoguent entre eux dans leur langue. Une écrivaine ayant répondu au téléphone en catalan dans un taxi, raconte que le chauffeur lui aurait rudement affirmé : Ici nous sommes en Espagne, on parle espagnol !. Elle lui aurait répondu qu’elle était en réalité en train de parler italien. Le chauffeur aurait alors conclus qu’il n’y avait pas de problème.

L’une des raisons de ces tensions est la confrontation de deux visions incompatible de l’histoire de l’État espagnol.

Le discours des nationalistes espagnol est en effet assez proche du nationalisme français. Le récit historique proposé est celui d’une monarchie qui a rassemblé progressivement des territoires par mariage, héritage ou conquête, notamment lors de la reconquête, et les a unifié pour former une nation unifiée, ayant le castillan pour langue, désormais appelé espagnol.

En Catalogne toutefois, le récit historique est bien différent. Il relate l’histoire d’un pays longtemps indépendant ou autonome qui a lutté pour préserver ses spécificités notamment des institutions parlementaires très anciennes, et dont l’identité a survécu à la conquête (le 11 septembre 1714, considéré comme fête nationale des Catalans), et aux tentatives de faire disparaître sa langue.

Avec la fin du régime franquiste et la transition démocratique, la Catalogne a retrouvé son autonomie, mais les sujets de frictions restent nombreux. Depuis la décision du tribunal constitutionnel espagnol du 28 juin 2010 rejetant de nombreuses mesures jugées essentielles du nouveau statut d’autonomie de la Catalogne [1], le soutien massif à l’autonomie se transforme en indépendantisme [2]. Dans ce contexte, les éclairages proposés par Matthew Tree sont utiles.

À voir : une conférence de 2010 (en anglais) de Matthew Tree reprenant de nombreux thèmes évoqués dans le livre :